Projets pour des adultes difficiles à atteindre: De Rode Antraciet
Beatriz Klewais
Avec cette série de récits concrets, Lasso met en lumière des initiatives vouées à ouvrir les portes à certains groupes de personnes adultes, généralement oubliées ou difficiles à toucher. Au cours de leur entretien, Hannah (Lasso) et Joëlle Kermarrec (ASBL De Rode Antraciet) se sont penchées sur le projet DIALOOG, où des détenu.e.s et des citoyen.ne.s engagent un dialogue sur le conflit et la réhabilitation à l’intérieur et à l’extérieur des murs de la prison. Le projet est une initiative d’Avansa, en collaboration avec l’ASBL De Huizen et De Rode Antraciet.
Conflit et réhabilitation : des thèmes pertinents dans la prison et en dehors
Active dans toute la Flandre et à Bruxelles, De Rode Antraciet travaille sur la relation entre les détenu.e.s et le monde extérieur. L’association a pris le parti de proposer aux détenu.e.s une offre variée de sport et de culture, imaginée avec les détenu.e.s. Joëlle Kermarrec est chargée de la culture et du sport dans les prisons de Forest, Berkendael et Saint-Gilles. Avec ces initiatives, De Rode Antraciet espère jeter un pont entre la prison et la société, et créer des possibilités d’expression, de dialogue et d’apprentissage, afin que les détenu.e.s puissent évoluer en tant que personnes à part entière.
En introduisant la culture dans les prisons et en créant des partenariats avec diverses organisations, De Rode Antraciet permet aux détenu.e.s de se mettre en mouvement. DIALOOG est un bel exemple. C’est un projet de collaboration trisannuel entre De Rode Antraciet, l’ASBL De Huizen et Avansa. Le projet a commencé fin 2020 et veut attirer l’attention sur des thèmes tels que le conflit et la réhabilitation à l’intérieur et à l’extérieur des murs de la prison, dans une perspective sociale. Dans les différentes villes pénitentiaires, des groupes locaux se réunissent en petit comité pour organiser des activités à la fois dans les prisons, et en dehors.
Un foyer de récits de réhabilitation
À l’issue du projet, les organisateur.rice.s souhaitent créer un « foyer physique de récits de réhabilitation », c’est-à-dire des podcasts, des paysages sonores, des photos, des récits d’(ex-)détenu.e.s, de victimes, de familles et de professionnel.le.s, recueillis et partagés, afin de donner une place aux histoires de réhabilitation sous toutes ses formes. Autour de cela, il y a la volonté d’ouvrir un débat citoyen, dans l’idée de rassembler des idées et, à terme, d’en faire des recommandations politiques.
De nombreuses activités ont eu lieu en 2021 et se matérialiseront plus tard dans le « foyer de récits de réhabilitation ». Un groupe de détenu.e.s s’est notamment penché sur le rôle du conflit et de la réhabilitation, sur la manière dont ces mouvements s’amorcent, et ce qu’il en reste aujourd’hui. Le groupe a rassemblé les récits et certains d’entre eux ont fait l’objet de podcasts.
Par ailleurs, la prison de Termonde a lancé un projet tellement inspirant qu’il a été repris par d’autres établissements, notamment à Louvain, à Bruxelles et à Bruges. Les commentaires et les questions soulevés par le thème de la réhabilitation et du conflit ont été notés sur des avions en papier, qu’on a lancés de part et d’autre des murs de la prison, dans un geste très symbolique. Un dialogue indirect a ainsi été amorcé entre des groupes qui ne se seraient sinon jamais rencontrés, et qui n’auraient certainement jamais discuté de ces thématiques. Un projet similaire a été mis en place à Merksplas, où des détenu.e.s et des élèves de sixième primaire de l’école du quartier ont échangé sur l’impact que la détention pouvait avoir sur les relations avec la famille et les proches. Ce dialogue a marqué les élèves et a changé leur vision des choses : ils et elles ont pris conscience que les détenu.e.s étaient des personnes qui ont aussi une famille, des personnes qui traversent, elles aussi, des hauts et des bas. Au printemps 2022, un collectif de jeunes s’appropriera ces histoires pour créer des morceaux de slam et de rap qu’on pourra entendre à l’occasion d’une soirée dédiée à l’art d’écrire. Ainsi, ces thèmes seront transmis à d’autres.
L’impact de la culture sur la vie des détenu.e.s
La plupart des détenu.e.s qui ont participé sont élogieux.ses à l’égard des projets en cours. En général, ils et elles considèrent de façon positive l’intérêt que le monde extérieur leur porte. Le fait que des gens de l’extérieur veuillent établir le dialogue avec elles.eux a une grande importance à leurs yeux. C’est une façon de se sentir considéré.e.s comme des êtres humains, et pas uniquement comme des criminel.le.s. Cela leur donne également la possibilité de partager leur histoire avec le monde extérieur.
Beaucoup de gens ont une image du milieu carcéral qui n’est pas du tout conforme à la réalité. Rien que pour cela, il est très utile de mettre en place des projets qui aide à prendre conscience que les personnes incarcérées ne sont pas réduites à leur statut de détenu.e.s et qu’elles ont aussi une vie et des sentiments.
- Joëlle
Quand on met en place des projets plus longs, on fait le constat qu’en prison les gens n’ont plus foi en l’être humain. Lorsqu’on travaille sur cela par le biais de la culture, par exemple avec des tables rondes, on constate que la confiance en son.sa prochain.e repointe tout doucement le bout de son nez, ce qui est en réalité important, notamment pour poser candidature pour un travail. L’impact d’un tel projet culturel est difficile à démontrer ou à quantifier, mais ces projets n’en sont pas moins précieux.
Très souvent, les détenu.e.s n’ont pas de quoi être fier.e.s. Si vous pouvez leur donner ne serait-ce qu’un élément positif ou un exercice réussi, leur sentiment de fierté grimpera en flèche. Cette fierté renforce leur estime d’eux.elles-mêmes. Ca a l’air dêtre un détail, mais sachez qu’il a son importance !
- Joëlle
Recherche de nouveaux partenaires
Joëlle souhaite conclure par un appel chaleureux à de nouvelles collaborations. Le projet DIALOOG est toujours ouvert à de nouvelles initiatives et De Rode Antraciet est toujours à la recherche de partenaires, d’accompagnateur.rice.s et de bénévoles proposant un projet créatif et accessible. Les prisons bruxelloises déménageront bientôt dans un nouveau complexe à Haren. Il s’agira donc d’aider à passer cette période de transition et les bénévoles seront plus que les bienvenu.e.s à rejoindre l’équipe pour cela.
Travailler avec des bénévoles donne une certaine image du projet aux détenu.e.s. Le fait que des citoyen.ne.s s’investissent pour elles.eux, et leur consacrent du temps, a un impact énorme.
- Joëlle
Un dernier message de la part de Joëlle pour les personnes qui travaillent ou souhaitent travailler dans le milieu carcéral. Soyez patient.e ! Ne vous lancez pas dans ce domaine si vous voulez contrôler la situation. Le secteur est constamment confronté à des changements et des obstacles, tels que des réformes et des grèves, mais les marques de reconnaissance que vous recevez lorsque vous réussissez à créer quelque chose sont énormes. Il faut se donner du mal pour y arriver mais, quand ça marche, c’est fantastique.